La culture française est fortement ancrée sur le pouvoir hiérarchique en entreprise. Elle a forgé une ambition et une stratégie sur la satisfaction de ses supérieurs en pensant peu à pourquoi le produit est-il utilisé et comment les utilisateurs interagissent avec ce dernier. Assez surprenant qu’il soit la vision centrée utilisateur a déjà été mise en place depuis des siècles, vers 4000 avant J-C avec l’ancienne philosophie chinoise du Feng Shui. Elle consiste à structurer son environnement de la manière la plus optimale, harmonieuse ou conviviale. Néanmoins, ce n’est depuis qu’une vingtaine d’années que l’on est arrivé à mettre un terme et à  structurer la vision centrée utilisateur.

La vision centrée utilisateur n’est pas qu’une démarche

Selon le secteur d’activité de l’entreprise et la taille, on observe une culture très différente de l’existence de méthodologie où l’utilisateur est au cœur de la stratégie de l’entreprise. Quand la vision centrée utilisateur y est absente, on se retrouve avec la vision centrée client.

Le milieu de l’entreprise joue beaucoup sur le relationnel en particulier le milieu de l’agence où l’on cherche à créer du lien avec des clients. Les entreprises savent que le plus dur reste l’acquisition de nouveaux marchés. Dans les années 90, de nombreuses études démontrent en effet qu’une entreprise a tout intérêt d’un point de vue financier à conserver ses clients plutôt que d’en conquérir de nouveaux. Du fait de la mondialisation croissante, le coût et le gain d’argent sont fondamentaux. Ainsi, la mise en place de stratégie CRM « Customer Relationship management » gagne en importance avec la mise en place d’outils mais reste avant toute chose une culture d’entreprise.

C’est pourquoi aujourd’hui quand on a besoin d’acquisition on s’oriente vers des leviers marketing facilement quantifiables et connus comme :

  • Le référencement naturel (SEO)
  • Le référencement payant (SEA)
  • La preuve sociale par des échanges informels, des témoignages…

Mais avec ce point de vue-là, on identifie l’utilisateur comme un client, on ne parle plus de UX mais de CX pour expérience client. Néanmoins, il s’agit d’une première étape vers l’utilisateur du produit car elle englobe donc toutes les interactions d’une personne avec la marque ou l’entreprise, dans un environnement réel ou digital. Elle s’appuie sur l’analyse de l’ensemble de l’environnement et identifie ainsi les différents points de contact comme la communication (emails, site web, …), en magasin, avec les employés, les services associés ou le contenu de marque.

Je me souviens d’un dirigeant avec qui je prenais un verre et qui m’a confié : "On dirait que l’UX Design s’est inspiré de l’école maternelle. Le pire c’est que j’ai l’impression qu’ils s’attendent à ce que nous payons pour qu’ils puissent s’amuser. C’est le monde à l’envers : les techniques sont plus importantes que les résultats."

— Marc Van Rymenant

Grace à ces ouvertures, l’UX peut se développer au travers de la sensibilisation des équipes avec la mise en place de stratégie de communication interne (mail, rapport) dans le cas où la vision centrée utilisateur n’est peu ou pas existante. Mais dans l’ensemble, il faut avant tout comprendre le fonctionnement de l’entreprise pour y déceler les opportunités de sensibiliser à l’UX tout en restant à faible coût.

Les raisons expliquant le peu de visibilité de l’UX sont que l’UX est rattaché aux équipes design des entreprises. Les métiers du design comme l’UX ou l’UI sont assez récents et étaient auparavant affiliés aux webmasters.

Dans une étude réalisée par DGCIS (Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services), aujourd’hui la DGE (Direction générale des entreprises), les freins les plus importants exprimés par les sociétés concernant le design sont :

  • La méconnaissance du métier (84 %)
  • Le manque de culture design dans l’entreprise
  • La perception des coûts liés au design (77 %)
  • Une mauvaise expérience antérieure (30 %)
  • La perception d’un impact négatif sur la productivité

Ces chiffres sont à nuancer par la date de l’étude, en 2014, avec l’évolution du numérique dont la progression croissante des métiers autour du design et l’effet du coronavirus qui a poussé les entreprises à augmenter leur visibilité sur internet.

Mais également que le pourcentage d’entreprises qui utilisent le design reste faible. 60% des entreprises (avec une proportion représentative des secteurs d’activités) n’intègrent pas de design dans une autre étude de la DGCIS datant de 2010 sur l’économie du design en France et seulement 35% intègrent le design dans la stratégie de l’entreprise.

 

Ainsi, en sensibilisant par des analyses clés qui sont quantifier avec des KPIs pertinents, l’apport de ces méthodes en devient pertinent. L’entreprise ne pourra les ignorer. Néanmoins, cette approche ne reste pas immuable car elle dépend de la capacité d’écoute des collaborateurs, du niveau de connaissance de la vision centrée utilisateur ou de la structure de l’entreprise.

La structure, un moyen de faire évoluer

Au fur et à mesure que l’approche utilisateur est poussé au sein des équipes, cette réflexion se retrouve bloquer par la structure décisionnelle et hiérarchique provoquant des barrières conditionnant le rôle de chacun.

Les différentes structures présentées s’appliquent dans le cas d’un produit numérique unique mais dans le cas d’entreprise ayant des activités différentes, ce type de structure n’est pas nécessairement la plus pertinente

1. Team agency

Ce type d’équipe est le modèle que j’ai retrouvé au sein de Cdiscount. Ce modèle d’équipe s’applique dans le cas où l’entreprise prend peu en compte le design et la vision centrée utilisateur dans le processus de travail de l’entreprise.

Les product designers sont regroupés au sein d’une équipe sous la responsabilité d’un Head of design et ils sont mobilisés selon les besoins des projets et des équipes en charge du produit. Les product designers sont amenés à changer d’équipe et ont peu d’appui dans le processus de décision des nouvelles fonctionnalités.

Cela s’explique par ce qu’il s’agit d’une structure facile à mettre en place dans le cas d’un intérêt naissant du design de l’entreprise et que le nombre de chef de projet ou product manager est supérieur au nombre d’UI/UX designer ou product designer.

On retrouve ce type d’équipe également dans le cas où l’entreprise applique des méthodes agiles où le design est consulté en majeure partie pour concevoir des maquettes et des prototypes. Si l’équipe design a suffisamment de budget elle va peut-être intégrer des User Researchers et permettra d’agrandir les missions de l’équipe design.

Cette structure est la plus pénalisante pour faire émerger la vision centrée utilisateur car c’est au PM (product manager) de solliciter un product designer et dans des cas précis, laissant peu de responsabilités au PrD (product designer). Ces ouvertures, dans certains exemples vont être de faire une analyse ergonomique du parcours existant avant la conception ou bien de recueillir les besoins utilisateurs avant même de choisir quoi améliorer.

Le manque d’automatisme entre les différents acteurs du projet (PM, product owner et développeur) va également représenter un frein à l’appropriation des méthodes complexes du product designer.

Néanmoins, ce type d’équipe permet une collaboration étroite entre les product designers permettant de les faire montée en compétence et de favoriser l’émergence de pratiques aboutissant une culture commune au sein de cette équipe.

2. Équipe distribuée

Contrairement à la structure précédente, les product designers ne sont plus regroupés dans une seule et même équipe mais répartit dans chacune des équipes indépendantes et autonomes. Le product designer est en collaboration permanente avec un PM ou un product owner et des développeurs sur un périmètre précis du produit. Cette stratégie ne peut s’appliquer que si le nombre de product designer et aussi ou plus nombreux que le nombre de product manager.

Dans cette situation-là, la communication est grandement facilitée avec le PM et les développeurs pour le product designer. Ce qui peut lui permettre de sensibiliser de manière quotidienne son équipe sur l’apport de l’avis utilisateur dans le produit.

Cependant, ce type de structure peut avoir un risque pour l’approche de sensibilisation choisi par le product designer car il est possible qu’il utilise des leviers différents et constater des différences fortes de connaissances et d’intérêts sur la vision centrée utilisateur. C’est alors au Head of design de définir une approche commune mais en générale cette mission ne rentre pas dans son périmètre de fonction. Ceci s’explique par le manque de responsabilité pour faire changer les méthodologies des product managers placé au même niveau hiérarchique.

3. Équipe hybride

Ce type de structure reprend celui d’une équipe distribuée à la seule différence que des profils techniques tels que des UX writers ou des User researchers sont ajoutés dans une équipe transverse. Les membres de cette équipe seront en appui des product designers et seront affecter selon les besoins des projets.

Cette équipe permet d’aborder un spectre très large de la vision utilisateur et au regard du nombre de personnes, représente un poids non négligeable dans la stratégie de l’entreprise. On retrouve une telle structure dans les entreprises qui ont pleinement pris conscience de l’intérêt du design et donc de la vision centrée utilisateur avec la présence d’un design system détaillé ou d’un research system. Elle reste malgré ça un cas exceptionnel car elle représente un coût important pour l’entreprise.

Avec un tel effectif, l’uniformité d’une stratégie pour faire émerger la vision utilisateur en devient nécessaire. C’est alors que le design ops intervient pour structurer l’approche à l’ensemble des équipes.

Design Ops

L’un des problèmes identifiés dans l’ensemble de ces structures c’est une approche différente appliqué par les membres des équipes de designer avec les product managers. Les PM sont les garants de la vision du produit tout au long du processus de travail. Ainsi, c’est par eux que l’approche serait la plus susceptible d’évoluer.

Dans le cas d’une organisation où les product designers sont répartit dans les équipes avec peu synergie entre les designers comme les 2 derniers exemples d’organisation, une approche commune est alors très difficile à adopter pour émerger la vision centrée utilisateur.

C’est dans ce type d’environnement que le design ops est primordiale. Il va être le chef d’orchestre de la stratégie du design pour l’organiser. Selon le périmètre du design ops, ses missions vont couvrir les éléments suivants :

  • L’application d’une stratégie commune sur la communication au sein des équipes et donc de l’apprentissage de la vision centrée utilisateur
  • L’animation des équipes par des évènements cycliques ou la mise en place d’outils facilitant la communication et le suivi de l’état d’esprit du groupe
  • La conception et la planification du processus de conception (en support du head of design)
  • La gestion des ressources et de la logistique dans l’équipe design (en support également du head of design)
  • La responsabilité du design system et de sa documentation

Conclusion

Le design thinking n’est qu’un outil qui sert à débloquer l’innovation d’une organisation mais en aucun cas d’intégrer l’utilisateur dans la réflexion d’un produit. C’est l’UX designer, au travers de ces méthodologies, qui va introduire la vision centrée utilisateur. Bien que nous puissions mettre en place toutes les méthodologies que nous souhaitons, pour soi-même ou pour son équipe, tant que ces dernières resteront cloisonnées et tant que la vision utilisateur n’aura pas suffisamment d’impact, alors la vision de l’entreprise et de ses produits n’évoluera pas.

C’est par un effort continu de sensibilisation que l’entreprise va parvenir à évoluer. Alors, cette stratégie va prendre un certain temps et demander une écoute de la part des chefs de projet ou des product managers.

Il s’agit d’un jeu d’échec. Dès que les premiers pions ont fait effet, on peut utiliser nos pièces maîtresses pour prendre le dessus. En proposant de nouvelles méthodologies, tout en montrant un retour sur investissement efficace pour l’entreprise.

Sources :

  • https://www.cegos.fr/ressources/mag/marketing-communication/communication-2/uxcx-de-lexperience-utilisateur-a-lexperience-client
  • https://www.custup.com/histoire-crm/
  • https://www.citedudesign.com/archives/doc_root/2012/designers/501bd9045616f_SyntheseFinaleEtudeEconomieDesignVF2logo.pdf
  • https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/etudes-et-statistiques/etudes/innovation/2014-01-Referentiel-metiers-design.pdf
  • https://medium.com/@julesmahe/tout-comprendre-sur-le-designops-80f5684687d7
  • https://www.pwc.fr/fr/publications/experience-center/design-ops.html